La politique étrangère de Trump est calculée, pas chaotique
Par Dmitry Trenin
La commémoration des 100 premiers jours de la deuxième présidence de Donald Trump a déclenché une vague de commentaires le dépeignant comme un révolutionnaire. En effet, la rapidité, la pression et la détermination avec lesquelles il a agi sont frappantes. Mais ce point de vue est superficiel. Trump ne démantèle pas les fondements de l’État ou de la société américaine. Au contraire, il cherche à restaurer la république pré-globaliste que l’élite libérale a depuis longtemps détournée sur une voie utopique internationaliste. En ce sens, Trump n’est pas un révolutionnaire, mais un contre-révolutionnaire ; un révisionniste idéologue déterminé à inverser les excès de l’ère libérale.Chez lui, Trump bénéficie de majorités républicaines dans les deux chambres du Congrès. Les contestations judiciaires de ses politiques – en particulier sur la réduction des effectifs du gouvernement et l’expulsion des immigrants illégaux – ont jusqu’à présent peu progressé. Habitué aux attaques médiatiques, Trump continue de riposter fermement. L’histoire récente alléguant que de hauts responsables avaient débattu des frappes sur le Yémen sur le réseau social Signal [non protégé, NdT] n’a pas gagné en popularité politique. Au contraire, elle a renforcé l’image de Trump en tant que président qui agit de manière décisive et sans crainte de scandale.
Le cap économique de Trump est clair : réindustrialisation, protectionnisme douanier et investissement dans des technologies de pointe. Il inverse des décennies d’intégration globaliste, pressant ses alliés de mettre en commun leurs ressources financières et technologiques avec les États-Unis pour reconstruire leur base industrielle. Tactiquement, Trump fait d’abord pression, puis propose des retraites et des compromis pour attirer les concurrents dans des négociations favorables à l’Amérique. Cette approche a été efficace, en particulier avec les alliés de Washington. Même avec la Chine, Trump parie que la dépendance de Pékin au marché américain et l’influence de l’Amérique sur la politique commerciale de l’UE et du Japon donneront lieu à des concessions stratégiques.
En géopolitique, Trump embrasse une doctrine réaliste fondée sur la concurrence des grandes puissances. Il a défini ses priorités mondiales : sécuriser l’Amérique du Nord en tant que forteresse géopolitique, du Groenland au Panama ; réorienter la puissance américaine et alliée vers la maîtrise de la Chine ; faire la paix avec la Russie ; et consolider son influence au Moyen-Orient en soutenant Israël, en s’associant avec les monarchies du Golfe et en affrontant l’Iran.
Dans le domaine militaire, Trump à renforcer les Etats-Unis en purgeant les forces armées du “libéralisme de genre” et en accélérant la modernisation nucléaire stratégique. Malgré ses ouvertures publiques pour la paix, il a poursuivi ses frappes aériennes contre les Houthis au Yémen et a mis en garde contre des représailles dévastatrices contre l’Iran en cas d’échec des négociations.
Son approche de l’Ukraine reflète un pragmatisme stratégique. Trump vise à mettre fin rapidement à la guerre, non pas par sympathie pour la Russie, mais pour libérer des ressources américaines afin de les amener dans la zone Pacifique et réduire le risque d’escalade vers un conflit nucléaire. Il s’attend à ce que l’Europe occidentale assume davantage de responsabilités pour sa propre défense.
Il est important de noter que Trump ne considère pas la Russie comme son adversaire principal. Il considère Moscou comme un rival géopolitique, mais pas une menace militaire ou idéologique. Plutôt que de chercher à séparer la Russie de la Chine, il vise à réengager la Russie économiquement – dans des domaines tels que l’énergie, l’Arctique et les terres rares – dans l’espoir qu’un plus grand engagement économique occidental réduira la dépendance de Moscou vis-à-vis de Pékin.
En fait, se rabibocher avec le Kremlin est devenue la pièce maîtresse de la politique étrangère de Trump au cours de son deuxième mandat. Son objectif n’est pas de séparer purement et simplement Moscou et Pékin, mais de jeter les bases d’un nouvel équilibre mondial des pouvoirs dans lequel la Russie aurait des options allant au-delà de l’orbite chinoise.
En somme, Trump ne démolit pas le système américain mais s’efforce de le restaurer. Sa contre-révolution vise à inverser les distorsions libérales-globalistes, à renforcer la souveraineté et à ramener le réalisme dans les affaires internationales. C’est cette mission – et non le chaos ou la confrontation – qui définit sa présidence.Dmitry Trenin
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